Israéliens et Israéliennes, bienvenue au BDS

Par Amjad Iraqi, le 19 mars 2023

Bien qu’elles ne soient pas nommées comme telles, les tactiques du BDS (le mouvement Boycott, Désinvestissements, Sanctions) ont été au cœur des manifestations anti-gouvernementales israéliennes. Et cette hypocrisie n’échappe pas aux Palestiniens.

Lors d’une manifestation antigouvernementale, le 16 mars, 2023, des manifestants israéliens affrontent la police à cheval alors que celle-ci bloquait Ayalon Highway. (Oren Ziv)

Il n’aura fallu que deux mois aux Israéliens pour briser l’un de leur plus grands tabous politiques dans la lutte contre le gouvernement d’extrême droite. Irrités par le délire autocratique de la coalition, les partis d’opposition juifs s’engagent à ne pas participer aux votes finaux de la Knesset sur la législation visant à remanier le système judiciaire. Des diplomates et émissaires israéliens quittent leurs postes en signe de protestation. Les réservistes de l’armée s’opposent en masse au service – et se trouvent affectés toutes les unités, des troupes de combat à l’armée de l’air. Les entreprises technologiques et les sociétés de capital-risque se délocalisent à l’étranger et transfèrent ailleurs des centaines de millions de dollars. Des artistes, des écrivains et des intellectuels appellent les dirigeants mondiaux à éviter les rencontres avec des hauts responsables israéliens, y compris le Premier ministre.

Aucun de ces groupes ne l’admettra, mais c’est, de l’avis de tous, l’une des campagnes BDS les plus impressionnantes jamais vues.

Dans Israël d’aujourd’hui qui a décidément la tête à l’envers, les boycotts, les désinvestissements et les sanctions – bien qu’ils ne soient pas explicitement nommés comme tels – sont devenus des stratégies centrales du mouvement de protestation israélien. De larges pans de la société ne se contentent plus de se distancier du programme du gouvernement, mais, pour en finir, recherchent activement des perturbations à l’échelle nationale et, au-delà, demandent une intervention internationale. L’économie, la sécurité et la vie quotidienne sont vues comme autant de sacrifices nécessaires pour sauver la « démocratie ». À cette échelle, il ne s’agit plus d’un mouvement qui vise seulement à en finir avec une certaine complicité de la population ; il s’agit, en fait, d’une révolte civile.

Comble de l’ironie, ces méthodes de résistance civile sont encouragées par des personnalités qui ont passé des années à dénoncer et cibler ceux qui les utilisaient. Yair Lapid, leader de l’opposition à la Knesset et ancien premier ministre, continue d’appeler à des manifestations de masse et à des grèves, et a exhorté les municipalités à ne pas coopérer avec certaines unités ministérielles du gouvernement, cette expression politique faisant partie du « profond instinct démocratique » des Israéliens. C’est ce même Lapid qui a accusé les groupes anti-occupation israéliens de « subversion » pour avoir dénoncé les abus militaires, qui a supervisé la mise au ban des ONG palestiniennes de défense des droits de l’homme en les qualifiant de « terroristes » et qui a exigé que les lois américaines anti-BDS soient utilisées pour punir la société de crèmes glacées Ben & Jerry’s de ne pas vendre de produits dans les colonies illégales de Cisjordanie, dénonçant le désinvestissement comme une « capitulation honteuse face à l’antisémitisme ».

Des militants, portant une banderole BDS, manifestent pour la libération de la Palestine et contre la récente agression israélienne contre Gaza, Paris, 22 mai 2021. (Anne Paq/Activestills.org)

La loi anti-boycott d’Israël, promulguée en 2011, plane désormais en principe sur tous ces nouveaux dissidents car elle permet à tout citoyen de poursuivre les manifestants au nom d’un « préjudice aux finances ou à la réputation » de l’État ou des autres entités sous son contrôle. La Cour suprême israélienne – l’institution pour laquelle le mouvement de protestation se bat avec tant d’acharnement – a pourtant approuvé avec enthousiasme la loi antidémocratique en 2015, qualifiant le boycott « d’une forme de terreur politique », de « sectaire, malhonnête et honteux », et de tentative « d’anéantir » l’État juif. Les politiciens israéliens, y compris du centre et du centre-gauche, considéraient à l’époque le sacrifice des droits civils comme le prix à payer nécessaire non seulement pour réprimer les Palestiniens, mais aussi pour dissuader les Israéliens juifs de boycotter les colonies. Maintenant, si la droite le décide, le mouvement anti-gouvernemental pourrait être amené à payer le même prix pour sa sédition.

« Nous vous l’avions bien dit »

La dissonance cognitive actuelle n’échappe point aux Palestiniens. Au cours des deux décennies qui ont suivi le lancement du mouvement BDS, les Palestiniens et leurs alliés ont été diffamés, censurés et attaqués d’avoir appelé les citoyens, les entreprises et les gouvernements à utiliser des tactiques non violentes pour faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses violations des droits humains. Ses demandes, fermement ancrées dans le droit international, sont de parvenir à l’égalité des droits pour les Palestiniens en Israël, de mettre fin au régime militaire dans les territoires occupés, et de permettre aux réfugiés palestiniens de retourner sur leur terre natale – des droits fondamentaux qui, dans tout autre pays, ne sauraient souffrir de telles controverses.

Au-delà du respect bafoué de leur simple droit de défier Israël, BDS a été agressivement dénoncé au mieux comme « contre-productif » et au pire comme « antisémite ». Une multitude de lois et de politiques américaines et européennes criminalisent effectivement le mouvement, le définissant comme une forme de racisme. Même les groupes juifs américains libéraux – dont certains accueillent favorablement l’idée de conditionner l’aide militaire à Israël, et ont appelé la semaine dernière à révoquer le visa du ministre des finances israélien – insistent toujours catégoriquement sur le fait qu’ils ne soutiennent ni ne participent au mouvement BDS.

Cette prise de distance est, à bien des égards, une dérobade qui révèle l’hypocrisie et le racisme au cœur du débat autour du BDS. Il est parfaitement raisonnable, semble-t-il, d’éviter les responsables israéliens, de couper les liens financiers et de perturber les espaces publics lorsque les Juifs du courant dominant l’exigent. Mais lorsque les Palestiniens vivant sous l’oppression israélienne exigent la même chose, leurs appels doivent être scrutés, rejetés, voire punis. Il est également révélateur que les tactiques du BDS soient actuellement légitimées lorsqu’il s’agit d’aider les Israéliens juifs à protéger un statu quo ante dans lequel la suprématie raciale et l’occupation militaire, bien que dissimulés sous des apparences plus démocratiques, étaient la norme – alors qu’utiliser BDS au nom de l’égalité, de la liberté et de la justice pour les Palestiniens reste, aux yeux des Israéliens, une menace existentielle.

La vitesse avec laquelle de nombreux étrangers, y compris des membres du Congrès américain, ont soudain adopté un langage et des idées politiques plus sévères à l’égard du gouvernement israélien, montre comment des groupes, même bien intentionnés, persistent à s’auto-désigner comme gardiens de ce que les Palestiniens sont autorisés à dire, faire et avoir. Le discrédit des voix palestiniennes, le conditionnement de leurs droits aux diktats israéliens et le refus de tenir le « seul État juif » responsable devant le droit international, constituent précisément ce qui a donné à Israël le temps et l’impunité pour arriver à sa plus récente étape fasciste.

Il est donc très tentant pour les Palestiniens de dire au monde « nous vous l’avions bien dit ». Mais pour l’instant, dans l’espoir que ce moment puisse servir de leçon, peut-être est-il préférable de simplement dire à tous les nouveaux militants israéliens du BDS : bienvenue.

Cet article fut initialement publié dans « The Landline », la newsletter hebdomadaire de +972.

Amjad Iraqi est rédacteur senior à +972 Magazine. Il est également analyste politique au « think tank » Al-Shabaka et fut auparavant responsable plaidoyer politique au centre juridique Adalah. En plus de +972, ses écrits ont été publiés dans la London Review of Books, The Nation, The Guardian et Le Monde Diplomatique, entre autres. Il est citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.

Source : +972 Magazine

Traduction BM pour l’Agence média Palestine

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